Titre-restaurant : les restaurateurs sur le point de perdre une bataille
DÉCRYPTAGE- Une prolongation de son utilisation pour acheter n’importe quel produit alimentaire en grande surface est en vue. Edenred, premier émetteur en France, appelle à mettre en œuvre la réforme prévue avant la dissolution.
Les salariés pourront-ils l’an prochain encore, acheter des pâtes et du riz au supermarché en utilisant leur titre-restaurant ? Matignon n’a pas encore tranché, mais tout porte à croire que rien ne devrait changer pour eux au 1er janvier 2025.
Depuis août 2022, ils sont 5,5 millions à bénéficier de cet avantage social pour payer en grandes surfaces n’importe quel produit alimentaire, consommable immédiatement ou non (viandes, féculents, produits surgelés…). Le gouvernement leur a accordé ce droit face à la forte inflation des produits alimentaires depuis la guerre en Ukraine. Un coup de pouce bienvenu, mais qui se devait provisoire. Autorisé par la loi portant des mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat de juillet 2022, il était prévu pour durer jusqu’à la fin de 2023, avant d’être prolongé jusqu’à la fin de cette année.
Un retour en arrière politiquement compliqué
Stop ou encore ? Le nouveau gouvernement devrait trancher dans les prochains jours pour la suite. Mais, dans le contexte de consommation toujours tendu, un retour en arrière est politiquement compliqué. « Il y a plusieurs options possibles, mais la poursuite de la dérogation semble la plus probable, confie-t-on dans l’entourage de Laurence Garnier, secrétaire d’État chargée de la Consommation. Les restaurateurs sont contre. Mais il ne s’agit pas de privilégier la grande distribution par rapport à eux. Il s’agit de savoir quels produits on peut acheter avec un titre-restaurant. Ce n’est pas le moment de pénaliser le portefeuille de 5,5 millions de salariés. Ils ne le comprendraient pas dans la période actuelle. »
Entre 2022 et 2023, la part de marché des restaurateurs est passée de 43,3 % à 40,1 % sur le titre-restaurant. Ils ne décolèrent pas. « Une nouvelle prolongation de l’utilisation à tous produits alimentaires transformerait à coup sûr le titre-restaurant en titre Caddie », s’agace Franck Chaumès, président UMIH Restauration. Constatant que la grande distribution captait désormais 30,8 % des flux financiers de titres-restaurant, Romain Girard, président du Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (Snarr) estime que « le titre-restaurant se transforme progressivement en un chèque en blanc »…
Pour la première fois, Edenred, premier émetteur de titres-restaurant en France, prend position. « C’est normal que les restaurateurs se saisissent du sujet, déclare Ilan Ouanounou, directeur général d’Edenred France. Cela représente un manque à gagner d’environ 300 millions en un an, dans un marché qui génère en tout 9 milliards d’euros d’apport d’affaires par an. » Financé par l’État, les salariés et les employeurs, le titre-restaurant n’est pas juste un instrument de pouvoir d’achat. C’est un avantage social, destiné à bien s’alimenter pendant sa journée de travail.
« Il est donc important qu’à long terme il reste ancré dans la restauration, pour que les entreprises continuent d’accepter de le financer, poursuit Ilan Ouanounou. Sur le principe, nous ne sommes pas pour la pérennisation de l’utilisation des titres-restaurant pour acheter n’importe quel produit alimentaire en grande surface. Mais nous restons réalistes, dans le contexte toujours présent de tension sur le pouvoir d’achat des salariés. »
«Faire aboutir le projet de réforme»
Au lieu d’opposer restaurateurs et grande distribution, Edenred estime qu’un nouvel équilibre pourrait être trouvé, en mettant en œuvre la réforme du titre-restaurant, qui était prévue avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette réforme a fait l’objet d’une large concertation entre tous les acteurs du secteur, mais elle n’est pas à l’agenda du Parlement.
Elle prévoit en particulier de dématérialiser le titre-restaurant à 100 % d’ici au début 2026 (contre 70 % aujourd’hui). « Cela permettrait aux restaurateurs d’économiser du temps et de l’argent en en finissant avec la logistique des titres papier, avance Ilan Ouanounou. Cela permettrait surtout de faire revenir vers la restauration les bénéficiaires de titres-restaurant qui aujourd’hui dépensent leurs titres papier en supermarché, car environ un tiers des restaurateurs ne les acceptent plus. »
Le projet prévoyait également la mise en place d’un agrément pour renforcer le contrôle des émetteurs, une inscription simplifiée des restaurateurs désirant accepter les titres-restaurant et la suppression des remises de fin d’année pratiquées par les émetteurs au bénéfice des entreprises. Suivant une préconisation de l’Autorité de la concurrence, il était aussi question de créer une charte de transparence sur le niveau des tarifs des émetteurs (Edenred annonce un taux global de 4,18 % incluant tous les frais).
« La ministre souhaite poursuivre les travaux et faire aboutir le projet de réforme lancé par Olivia Grégoire, assure-t-on dans l’entourage de Laurence Garnier, sans plus de précisions. Nous espérons que ce dossier aboutira courant 2025. Il est dans l’intérêt de tous de dématérialiser les titres-restaurant le plus rapidement possible. »
Dans l’intérêt des restaurateurs, Edenred propose enfin de réinstaurer un double plafond d’utilisation quotidienne des titres-restaurant, qui pourrait être de 30 euros au restaurant et de 25 euros dans les grandes surfaces alimentaires. De juin 2020 jusqu’à l’été 2022, les salariés avaient eu droit à 38 et 19 euros, pour permettre aux restaurateurs de se relancer après le Covid.
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