Le cognac, victime collatérale de la guerre commerciale entre la Chine et l’Europe
DÉCRYPTAGE – Dès vendredi, la Chine imposera aux importateurs de brandys européens une caution autour de 35 % sur toutes les bouteilles expédiées dans l’empire du Milieu.
L’annonce a pris de court le Cognaçais. Alors que les négociants du célèbre alcool charentais pensaient échapper à des sanctions provisoires sur leur production, menacée de rétorsions fiscales dans le cadre de la guerre commerciale entre Bruxelles et Pékin sur les véhicules électriques chinois importés dans l’Union européenne, les quelque 240 maisons de négoce de cognac vont bien devoir passer à la caisse. Et ce plus vite que prévu.
Mardi, le ministère chinois du Commerce a annoncé que les importateurs de brandys en provenance de l’UE devront fournir, au moment de passer la frontière, et dès vendredi, « le dépôt correspondant aux douanes de la République populaire de Chine ». En clair, déposer une caution correspondant aux marges de dumping estimées par Pékin, dans le cadre de son enquête sur les eaux-de-vie de vins européennes ouverte le 5 janvier dernier.
Les enquêteurs chinois évaluent ces niveaux de dumping autour de 35 % pour les producteurs et négociants français de cognac. En première ligne, Hennessy (groupe LVMH), Martell (Pernod Ricard) et Rémy Martin (Rémy Cointreau). En effet, si l’ensemble des brandys européens sont visés par ces mesures (grappa, limoncello, armagnac…), c’est bien le plus apprécié des alcools occidentaux en Chine qui est le premier concerné, pesant à lui seul 95 % de ce marché.
Conséquences catastrophiques pour la filière
La mise à exécution par Pékin de ses menaces fiscales n’est pas une surprise en soi. C’est le calendrier qui a pris de court la filière du cognac, alors que des enquêteurs chinois doivent continuer jusqu’à la fin de cette semaine leurs contrôles des exploitations de l’appellation. « Le président Macron avait obtenu du président Xi Jinping qu’il n’y aurait pas de taxes provisoires appliquées sur nos produits, tant que les conclusions définitives de l’enquête chinoise n’étaient pas rendues, déplore-t-on chez un des grands acteurs du secteur. C’est bien la preuve qu’on ne peut pas se fier aux promesses de Pékin. » Promesse qui avait d’ailleurs été réitérée par les autorités chinoises à la fin de l’été.
En réalité, la position de la Chine semble s’être raidie depuis la rentrée. Et ce d’autant plus que, vendredi dernier, les États membres de l’UE ont donné leur feu vert à la Commission européenne pour l’imposition de droits de douane sur les importations de véhicules électriques chinois pouvant aller jusqu’à 45 % et pour cinq ans. « On voit bien que le calendrier sur le cognac est directement calqué sur celui des procédures sur l’automobile chinoise », décrypte Florent Morillon, président du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC). Celui-ci craint des conséquences « catastrophiques » pour la filière. Représentant 30 % des volumes mondiaux de cognac expédiés dans le monde, le marché chinois est stratégique pour les acteurs de ce spiritueux. En Bourse, la nouvelle a d’ailleurs entraîné tous les titres du secteur en forte baisse, de LVMH (- 3,69 %) à Pernod Ricard (- 3,65 %) en passant par Rémy Cointreau (- 6,82 %), dont le portefeuille est le plus exposé au cognac et à la Chine.
Dans la foulée de l’annonce, la Commission européenne a assuré qu’elle contesterait devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) des mesures faisant un « usage abusif d’instruments de défense commerciale ». À Paris, considéré par la Chine comme fer de lance des procédures européennes contre l’industrie automobile chinoise, on mise sur le prochain G20 fin octobre pour tenter de nouer des échanges avec le ministre chinois du Commerce. En revanche, la question d’une représentation française lors du prochain salon CIIE de Shanghaï fin novembre, temps fort pour les acteurs du commerce avec la Chine, n’est pas encore tranchée.
Muscler les stocks non surtaxés
Les producteurs de cognac ne sont pas les seuls touchés, la Chine ayant aussi ouvert des procédures contre les importations de produits laitiers et porcins européens. Conscients que l’étau se resserrait, les acteurs du cognac avaient commencé à se préparer à ce scénario du pire. Au vu de la lourdeur administrative de l’enquête chinoise, plusieurs PME avaient déjà cessé leurs envois sur place.
D’autres, n’ayant pas le niveau de trésorerie suffisant pour avancer ces cautions, pourraient suivre. Anticipant ce durcissement fiscal, certains négociants ont enfin gonflé leurs envois ces dernières semaines vers l’empire du Milieu, pour muscler leurs stocks non surtaxés en prévision du Nouvel An chinois. Une stratégie risquée, alors que la consommation de spiritueux en Chine reste très morose.
Le poids lourd Pernod Ricard a, par exemple, déploré lors de son exercice 2023-2024 une baisse de la consommation de 10 % sur ce marché. Le numéro deux mondial des spiritueux, à l’instar des acteurs aux reins les plus solides, pourrait prendre à sa charge, au moins en partie, l’impact de cette caution imposée par Pékin. Un moyen d’éviter que cette mesure ne pèse trop sur le prix de vente final en Chine.
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Source : Le cognac, victime collatérale de la guerre commerciale entre la Chine et l’Europe