«C’est le nouveau commerce de proximité» : pain, huîtres, pizzas… Bienvenue dans la France des distributeurs automatiques
RÉCIT – Alors que beaucoup de magasins ont fermé dans les communes rurales, ce nouveau canal de vente se développe dans les villages et surtout le long des routes. Non sans poser de questions.
Durant les fêtes, irez-vous chercher vos huîtres au distributeur automatique ? N’en déplaise aux puristes, celui de l’ostréiculteur normand Ludovic Casrouge à Gouville-sur-Mer (Manche) devrait connaître un franc succès. Huîtres, crevettes, soupe de poisson ou saumon fumé attendent les clients de passage, qui n’ont certainement pas la possibilité de se rendre dans sa boutique de Pont-Audemer, située dans l’Eure.
Le distributeur automatique d’autrefois, qui vendait des barres chocolatées et des bouteilles de jus d’orange industriel, s’est sophistiqué. Au bord des ronds-points et des routes passantes, dans les stations-service ou sur les parkings, parfois dans les gares, prolifèrent des appareils nouvelle génération. Équipés d’un four ou au contraire réfrigérés, ils proposent du pain, des pizzas, des fruits et légumes, des œufs ou des plats préparés. Avec parfois une touche locale : le Jura s’équipe de distributeurs automatiques de Comté, la Sarthe de distributeurs de rillettes.
À lire aussiLes services publics n’abandonnent pas les zones rurales
Ces équipements se développent surtout dans les zones rurales et semi-rurales, où « ils accompagnent la mobilité des Français », constate Vincent Chabault, sociologue spécialiste du commerce, auteur d’Éloge du magasin. Les clients apprécient de pouvoir acheter un produit en passant, à toute heure et le dimanche, même quand les magasins sont fermés. « J’étais moi-même cliente des distributeurs de pain avant d’ouvrir mon distributeur de charcuterie, explique Marjorie Van Belleghem, la patronne de la boucherie Dulin Villain à Coutances, dans la Manche. J’allais chercher mon pain en rentrant tard le soir, quand les boulangeries étaient fermées. Et je suis toujours surprise de voir que des clients viennent chercher un saucisson sec à 1 heure du matin ».
Des rôtis le week-end
La boucherie Dulin Villain a ouvert son distributeur il y a quatre ans, après avoir été démarchée par une société spécialisée. Elle considère son distributeur, implanté sur le parking d’une de ses deux boutiques, comme un troisième magasin. Le mardi, l’équipe le remplit de plats cuisinés, de petits paquets de viande et de charcuterie à manger sur le pouce. « Et le week-end, en prévision de notre jour de fermeture, nous changeons l’assortiment pour de grosses pièces, comme des rôtis », poursuit la patronne.
« Il y a deux types d’usages, complète Philippe Retailleau, à la tête d’Ici Baguette, société spécialisée dans la vente de distributeurs de pain et de viennoiseries. La moitié de nos clients commerçants installent un distributeur de pain à côté du commerce qu’ils possèdent déjà, pour pouvoir continuer à vendre lorsque leur boutique est fermée. L’autre moitié des distributeurs est implantée dans des communes dépourvues de commerces, où il ne serait pas rentable d’en ouvrir ».
Le recul du commerce rural fait le jeu des distributeurs automatiques. Dans les années 1980, 25% des communes n’avaient pas de magasins. C’était 60% en 2020, soulignait récemment Olivia Grégoire, la ministre déléguée au Commerce, lors d’un point d’étape de son plan pour la reconquête du commerce rural. « Dans les villages et bourgs de moins de 2000 habitants, le départ à la retraite du boulanger signe souvent la fermeture du commerce », souligne Philippe Retailleau.
Le distributeur automatique est une alternative. « À 98%, les pizzaiolos qui ouvrent un de nos distributeurs de pizza le font pour étendre leur activité, dans des zones où il ne serait pas rentable d’ouvrir un restaurant, confirme la société Adial, qui commercialise ces appareils. Dans un village de 1500 habitants, il est très compliqué de faire tourner une pizzeria, sauf à avoir une renommée qui permet d’attirer les clients de loin. Le distributeur automatique est une réponse ».
Un investissement minime
Cet équipement requiert un investissement minime, comparé à l’ouverture d’un restaurant ou d’une boutique. Un distributeur de pizza coûte 50.000 à 60.000 euros. C’est environ 10.000 euros pour un distributeur de pain. Les frais de fonctionnement se limitent généralement à 200 euros par mois, variables en fonction des options choisies. C’est bien peu comparé au loyer et aux frais de personnel que requiert un restaurant. Dans la restauration, ce mode de distribution permet de surcroît de s’affranchir des horaires contraignants (de nuit, de week-end…) du secteur puisque l’équipement est rempli au cours de la journée. De quoi recruter plus facilement.
Nous avons tendance à voir le commerce rural sous l’angle de la disparition. Mais il se recompose plus qu’il ne disparaît
Vincent Chabault, sociologue
« C’est le nouveau commerce de proximité, estime le sociologue Vincent Chabault. Nous avons tendance à voir le commerce rural sous l’angle de la disparition. Mais il se recompose plus qu’il ne disparaît. L’essor des distributeurs automatiques, comme des camions ambulants, en témoigne. Un boucher, un charcutier ou un maraîcher n’aura pas forcément les moyens d’ouvrir une boutique dans un nouveau territoire. Mais un distributeur automatique, oui. Pour les habitants, c’est mieux que rien ».
Pour les commerçants et les producteurs, c’est un complément de revenu bienvenu. Le distributeur installé sur son parking rapporte 50.000 euros de chiffre d’affaires à la boucherie Dulin Villain. « Ce n’est pas l’équivalent d’un magasin, mais c’est un bon plus », admet Marjorie Van Belleghem. Ludovic Casrouge, ostréiculteur, n’est pas disert sur le bénéfice que lui rapporte son distributeur Terre-Mer – il vend à la fois des fruits de mer et des légumes. Mais « ça n’est pas trop mal », reconnaît-il. Au point qu’il nourrit déjà d’autres projets d’ouverture. Certains commerçants se retrouvent à la tête d’une véritable flotte de distributeurs automatiques. Si la plupart des pizzaïolos ont cinq distributeurs, certains vont jusqu’à trente, et abandonnent la restauration classique.
Le collectif Bienvenue à la Ferme encourage ses agriculteurs membres à écouler leur production par ce moyen. À ce jour, une centaine a été installée. C’est un succès. « Il y a une demande pour des produits ultra-locaux, à laquelle le distributeur automatique permet de répondre », explique Olivier Robert, agriculteur en Bretagne. Les appareils sont souvent installés au sein des fermes, mais aussi sur des axes passants, et même sur une aire d’autoroute de l’A7.
Des perspectives en ville
JCDecaux estime le marché prometteur, et pas seulement à la campagne. Il vient d’ouvrir à Puteaux un kiosque proposant des produits frais dans des casiers connectés. Deux autres existent déjà à Meudon et à Massy, mais JCDecaux ne compte pas s’arrêter là. « Nous avons plein de projets pour développer d’autres casiers de ce type, à Suresnes, Montrouge ou encore Bordeaux », explique Marc Bollaert, directeur de Mediakiosque.
Le distributeur automatique ne saurait pourtant être la panacée au recul du commerce en zone rurale. « Il peut être une solution ponctuelle, mais nous préférons clairement voir s’implanter de vrais commerces. Pour nous, l’important est de réintroduire du contact humain», explique Alain Chrétien, maire de Vesoul (Horizons) et représentant de l’Association des maires de France (AMF) pour le commerce. Et le maire de souligner les nuisances sonores que les distributeurs automatiques peuvent occasionner par le passage des voitures, en incitant les clients à se fournir à toute heure du jour et de la nuit. « Ils posent par ailleurs un problème patrimonial à nos villages car ils sont franchement moches », ajoute-t-il. Pour inciter de « vrais commerces » à se réimplanter dans les villages, le gouvernement subventionne leur installation à hauteur de 75.000 euros maximum.
Si le distributeur est peu coûteux, il n’est pas non plus simple à gérer pour les commerçants. Il faut faire des tournées pour qu’ils restent approvisionnés, et éviter les dégradations. Dans la Sarthe, un « gang des distributeurs de rillettes » en a saccagé et pillé trois cette année. Depuis, la patronne de la Boucherie de l’église de la Chapelle-Saint-Aubin dort la fenêtre ouverte, pour veiller sur sa machine, rapporte France Bleu. Ce distributeur, explique Magali Brière, la patronne de la boucherie, lui occasionne des revenus, et de l’anxiété en proportion.
– A retrouver en cliquant sur Source