Anders Roed, PDG de Kronenbourg : «Aujourd’hui, chaque Français a une brasserie à 20-30 km de chez lui»
La bière, devenue la meilleure concurrente du vin, le développement des microbrasseries, la déferlante des bières sans alcool… Anders Roed, Président-directeur général de Brasseries Kronenbourg dresse le panorama d’un secteur en pleine mutation.Le Figaro Vin. – Les derniers sondages d’opinion publiés, auprès de la population jeune et moins jeune, montrent que le monde de la bière est de plus en plus attractif. En France comme dans d’autres pays, la bière concurrence même le vin…
Anders Roed. – C’est une tendance qu’on observe maintenant depuis des années en France. Elle est surtout portée par les jeunes adultes consommateurs, qui commandent de plus en plus de bières dans les bars, mais aussi dans les restaurants. Il y a de plus en plus de bières consommées avec les repas. Cela concerne toutes sortes de bières différentes : des blondes, mais aussi des bières fortes de style belge, et aussi les IPA. En France, il y a 15-20 ans, la plus grande part du marché revenait aux blondes standards et ensuite, il y a eu un bel engouement pour les bières d’abbayes comme Grimbergen, avec un style un peu belge. Maintenant, il y a une variété immense de bières. En 1969, quand nous avons ouvert la brasserie d’Obernai, nous ne proposions que deux produits. Aujourd’hui, nous en avons plus de 60 avec une accélération ces dernières années. Nous présentons 5 à 6 nouvelles recettes chaque année.
Parmi toutes ces nouveautés, la bière IPA est un phénomène en soi…
Le phénomène d’IPA vient d’Angleterre, mais le grand mouvement des IPA a vraiment commencé aux États-Unis, avec des East Coast IPA, des West Coast IPA, des bières avec beaucoup plus de houblon. Historiquement, ce sont des bières qu’on a bues en Inde, des bières avec beaucoup, beaucoup de houblon, très amères. Depuis 5 ou 10 ans, ces bières fortement houblonnées sont beaucoup plus fruitées. Quelques fois aussi, ces bières ont subi des ajouts de jus de fruits. Normalement, c’est du pamplemousse ou de la mangue. Cela se marie très bien avec le houblon.
Le développement des micro-brasseries contribue-t-il au succès de la bière ?
En effet, il y a un développement incroyable dans le secteur de la microbrasserie. Maintenant, on en compte 2500 à 2600 en France. Aujourd’hui, chaque français a une brasserie à 20-30 km de chez lui. On trouve des petites brasseries vraiment partout. Ce qui a vraiment contribué au développement du secteur brassicole, c’est que les grandes et les petites brasseries cohabitent et cela augmente beaucoup l’intérêt pour le secteur brassicole. Cette passion pour le secteur brassicole a énormément augmenté ces 10 ou 15 dernières années en Europe et aux États-Unis et cela se produit aujourd’hui en Europe de l’Est et en Asie. Les microbrasseurs dans plusieurs pays sont devenus des petites rock stars. Ils travaillent avec des chefs dans des grands restaurants et ils développent des brassins incroyables. Cela a un effet sur l’image de la bière. Cette diversité de produits a permis de toucher des gens qui ne consommaient pas forcément de la bière avant. En termes de marketing, plus le marché est riche et plus la perception de qualité augmente.
Vous voulez dire que ce phénomène de microbrasserie a été extrêmement favorable aux grands groupes en renforçant l’intérêt et l’excitation du public ?
Les microbrasseries ont apporté beaucoup d’innovation. Et en même temps, les petits ont pu profiter de l’expertise des grands. Dans le groupe Carlsberg par exemple, on a eu le développement de la levure et ça, c’est une sorte de technologie, d’expertise. Nous, nous avons des scientifiques qui travaillent uniquement sur ce sujet, pour l’améliorer, et c’est une partie de notre histoire avec le groupe Carlsberg. Ce sont des technologies qui ont été partagées avec beaucoup de brasseurs dans le monde. À mon avis, les petits ont besoin des grands et les grands ont besoin des petits. Et c’est aussi peut -être comme ça que le secteur brassicole est un petit peu différent de celui du vin où il y a surtout des petits acteurs ou des moyens acteurs. Dans le secteur du vin, les grands ne sont pas vraiment très grands. Ce n’est pas au même niveau que le secteur brassicole.
Et des saveurs qui correspondent aux nouvelles attentes…
Absolument. On a des bières avec encore plus de goût, qui vont très bien avec les repas, elles sont plus fruitées. Les préférences des Français vont vers les boissons fruitées. Évidemment, la France est quand même le pays du vin. Ces nouvelles IPA avec des notes très fruitées et un peu amer, ça se voit chez tous les petits brasseurs, et c’est aussi le cas aussi chez nous. Pour nous, la grande marque qui incarne cela, c’est Brooklyn Brewery, qui produit des bières beaucoup plus houblonnées, mais aussi fruitées. Et ces bières font l’objet de collaborations avec des artistes aux USA. On fait des brassins avec d’autres brasseries. Des brasseurs travaillent ensemble pour faire un brassin particulier avec une signature.
Les femmes semblent de plus en plus apprécier la bière…
L’aromatisation amène beaucoup de femmes à la bière. Les Françaises ont horreur de l’amertume. Ce ne sont pas des Belges, des Hollandaises ou des Allemandes. Avec l’aromatisation, la bière devient de plus en plus unisexe.
Qui achète la bière en supermarché ?
Je l’ai constaté dans plusieurs pays en Europe, c’est avant tout les femmes. Car ce sont souvent elles qui font les courses dans les magasins. Cependant, dans les magasins, petits ou grands, on voit que les hommes passent beaucoup de temps à regarder les références dans les caves à bières. Ce qu’on voyait avant dans les caves à vins, maintenant, on le remarque de plus en plus dans les caves à bières. Les hommes peuvent passer 15 à 20 minutes à regarder les différentes bouteilles et les canettes. Les canettes sont en train de devenir de plus en plus tendance, ce qui n’était pas le cas avant.
On a noté ces dernières années une large évolution de la culture du vin liée à un meilleur accès à l’information. On peut tout savoir sur un château, sur un vin, sur un cépage. Qu’en est-il dans le monde de la bière ?
On a un phénomène exactement équivalent. Les vingtenaires posent beaucoup de questions, surtout ce qui est lié à la RSE, et ils veulent comprendre ce qu’il y a dans la bouteille.
La bière est de plus en plus présentée en France comme un produit gastronomique, et avec des accords entre les mets et la bière.
Quand vous alliez chez quelqu’un, pour diner, vous apportiez une bouteille de vin. Aujourd’hui, vous apportez aussi différentes bouteilles de bière. Je ne dis pas que ça se fait partout, mais c’est un phénomène qui n’existait pas il y a dix ans, et qui est un bon marqueur. On veut faire vivre à des amis des expériences de nouveaux goûts.
On dit que plus il fait chaud, plus les gens boivent de la bière…
C’est pour l’anecdote, mais jusqu’à 26 degrés, votre raisonnement tient parfaitement. Au-dessus de 26 degrés, les gens arrêtent de boire de l’alcool, ils passent à autre chose. Donc pour nous, les canicules ce n’est pas bon. Quand il fait trop chaud, et ça se voit dans tous les pays, les gens arrêtent de consommer de l’alcool. Ils consomment des softs, de l’eau, des jus… Autre chose, tout simplement.
Les bières sans alcool constituent-elles une nouvelle tendance de consommation ?
C’est devenu en France un très grand phénomène. Ce marché a grandi énormément et très vite. La marque Tourtel Twist qui a été lancée en 2015 a eu un développement incroyable. Ça se voit aussi avec la 1664 0,0, Grimbergen 0,0, etc. C’est quelque chose qui a beaucoup changé. Nos maîtres brasseurs sont maintenant capables de brasser des bières sans alcool qui ressemblent fortement au goût d’une bière avec alcool. C’est une tendance surtout présente chez les jeunes. Ils cherchent des produits qui ne sont pas des softs, mais sans alcool. Cette génération qui fait plus attention à sa santé a une préférence pour ces bières. Il y a dix ans, c’était pour les femmes enceintes, ceux qui devaient conduire ou ceux qui prenaient des médicaments. Maintenant, c’est tout simplement parce qu’on préfère ne pas boire d’alcool, et dans les rayons des magasins, il y a désormais un très grand choix de sans alcool. Ça se développe chaque année. Et c’est aussi un peu un challenge pour les grands comme pour les petits brasseurs de chercher à toujours développer le produit, de développer différents brassins complètement sans alcool. Je pense qu’on va voir de plus en plus de variété dans ce secteur, de plus en plus de sans alcool.
Par Stéphane Reynaud – A retrouver en cliquant sur Source